Les miracles de la régénération

Une tête sans corps

Dr. Klaus Duffner · Allemagne
 · December 21, 2021

Les limaces de mer Sacoglossa ont la capacité de se débarrasser, puis de régénérer l’ensemble de leur corps, y compris leur cœur et leur système digestif. Des chercheurs japonais pensent que des parasites et des algues ont un rôle vital dans ce phénomène.

Pour certaines espèces animales, l’amputation volontaire (et la régénération consécutive) de certaines parties du corps constitue un mécanisme efficace pour échapper au danger. 
Les lézards sont un exemple bien connu de ce processus que l’on appelle « autotomie » ou auto-amputation. Les reptiles peuvent échapper aux prédateurs en se débarrassant de leur queue – qui repousse ensuite, bien qu’en version plus courte1. Face au danger, l’espèce africaine de souris épineuse du genre Acomys perd également sa peau qui est ensuite régénérée avec toutes ses couches ainsi que la fourrure et les glandes2.

De même, le crabe fantôme atlantique a la capacité de se débarrasser de plu-sieurs extrémités au niveau de points de cassure prédéterminés, puis de les régénérer morceau par morceau au cours de processus de mue ultérieurs3. Cependant, comme l’ont récemment rapporté des chercheurs japonais, les véritables maîtres de la régénération sont les limaces de mer Sacoglossa4. Ces animaux marins sont capables d’amputer leur tête puis de régénérer complètement leur corps. 

Séparation spontanée de la tête et du corps - Comme ceci est souvent le cas en science, la chance a joué un rôle crucial dans cette découverte. La doctorante Syaka Mitoh élevait des limaces de mer du genre  Elysia pour étudier leur cycle de vie. Mais un jour, elle a vu que la tête de l’une de ses limaces s’était détachée de son corps et bougeait seule4
Sur les 15 spécimens de l’espèce Elysia marginata conservés au laboratoire, un tiers s’était spontanément coupé la tête au bout d'un certain temps. Avant cette division, une indentation a pu être ob-servée le long du « cou » des limaces, faisant office d’une sorte de point de rupture prédéterminé.

 

Un nouveau corps en 20 jours

Immédiatement après l’amputation, la tête commençait à se déplacer de manière autonome, et la blessure sur le cou de la limace se refermait en l’espace d’un jour. « Nous pensions que la limace mourrait rapidement sans le cœur et les autres organes vitaux, mais nous avons été à nouveau surpris de voir que la totalité du corps se régénérait », explique Mitoh5
Le cœur de la limace de mer s’est régénéré en sept jours et tout son corps en 20 jours. Outre le cœur, les reins, le système digestif, une grande partie des organes reproducteurs et les appendices latéraux aliformes s’étaient de nouveaux développés. 
Fait intéressant, le corps ne se régénérait que chez les animaux jeunes, tandis que les plus âgés sont morts au bout de 10 jours. De même les corps sans tête ne se sont pas régénérés mais ils ont continué de se déplacer pendant des jours, voire des mois, et répondaient au toucher avant de finir par rétrécir et périr. À ce moment-là, 80 à 85 % de la masse corporelle totale avaient été perdus.

Les limaces de mer Sacoglossa - Un nouveau corps en 20 jours

Des parasites sont-ils la cause de l’autotomie ?

Parmi la deuxième espèce conservée au laboratoire, Elysia atroviridis, 82 individus ont été infestés de parasites appelés copépodes. Trois de ces spécimens se sont autotomisés et régénérés comme décrit ci-dessus, se débarrassant ainsi de leurs parasites. Quelque 39 autres ont précisément perdu les parties de leur corps qui étaient infestées par les hôtes non invités. En revanche, aucun des 64 individus non infestés ne s’est amputé d’une partie de son corps. 
D’après les auteurs, la conclusion évidente est que les limaces de mer Sacoglossa ont développé cette capacité à l’autotomie pour se débarrasser de ce type de parasites. En effet, grâce à leur camouflage efficace et à la présence de toxines sur leur corps, les limaces de mer ont relativement peu de prédateurs6 – qui sont, bien sûr, la raison de l’abandon volontaire de certaines extrémités chez beaucoup d’autres animaux.

 

Plus de réussite en termes de reproduction sans les parasites

Des « expériences d’alimentation » ont en outre révélé l’absence de comportement autotomique. Dans le même temps, les parasites sont plus qu’une simple nuisance : ils comblent la majorité de l’es-pace dans le corps des limaces de mer et gênent ainsi leur reproduction. Si les parasites sont expulsés, une amélioration considérable est observée en termes de reproduction. 
D’autres théories suggèrent que le détachement du corps pourrait également être un moyen pour les animaux d’éviter de s’empêtrer dans les algues ou d’éliminer les substances toxiques présentes dans le corps. 

 

 

 

La limace de mer Elysia marginata, 3, 7, 10 et 17 jours après l'autotomie. Avec l'autorisation d'une étudiante de l'école supérieure de l'Université des Femmes de Nara, Mme Sayaka Mitoh, Japon.

 

Elles ne vivent que de la lumière

Une autre caractéristique inhabituelle des limaces de mer semble jouer un rôle décisif dans cette forme extrême d’autotomie. Les limaces de mer Sacoglossa se nourrissent spécifiquement d’algues, ingérant leurs chloroplastes et les stockant sous forme de « kleptoplastes » dans des régions spécifiques de l’intestin sous la peau, via leur système digestif très ramifié6
Des chercheurs japonais soupçonnent que les têtes amputées tirent l’énergie de la photosynthèse des chloroplastes. Ils ont en effet observé que les têtes des jeunes limaces de mer commencent à s’alimenter d’algues au bout de quelques heures seulement. L’absence totale de système digestif signifie qu’il n’est plus possible de digérer les algues normalement, l’énergie obtenue des chlo-roplastes semble suffire à régénérer le reste du corps.
La façon dont les limaces de mer peuvent prolonger la durée de vie des chlo-roplastes n’est pas encore claire, surtout lorsqu’on sait que l’environnement à l’in-térieur des cellules animales se caracté-rise par des conditions totalement différentes de celles des cellules des plantes7. Les analyses par fluorescence suggèrent que les animaux rendent la structure in-terne des chloroplastes plus résistante, les protégeant ainsi des dommages causés par la lumière.

 

Énergie suffisante pour régénérer le corps

Même si l'efficacité de ces minuscules producteurs de sucre est limitée, la quantité d’énergie semble suffisante pour ré-générer le corps et maintenir la limace de mer vivante – même pendant toute sa vie. Dans une autre étude, des limaces de mer du genre Elysia ont survécu dans un aquarium sans nourriture jusqu’à neuf mois, uniquement grâce à la lumière8. Cette période correspond à leur espérance de vie habituelle dans leur milieu naturel. 

À propos de l’auteur

Dr. Klaus Duffner | Allemagne

Scientific Journalist
Medizin & Wissen Freiburg